Légende
Nel est berger quand ses cousins sont steward ou chasseur de papillons rares. Comment se dessine une trajectoire de vie ? Qu’est-ce qui nous pousse à partir ou à rester ?
«Dans la famille on les appelait les originaux. Les Africains. Des noms qui leur allaient bien et les faisaient rire. Mais pour moi j’avais une image : les papillons. Je les appelais comme ça, sans le dire à personne. L’histoire des miens était une histoire de moutons, bergers de père en fils, une histoire de transhumances, d’agnelages, d’estives, de quartiers d’herbe à faire brouter, de bergeries à curer, l’histoire d’un seul et unique voyage, toujours le même, pendulaire, réglé, entre la même plaine et les mêmes montagnes chaque année. L’histoire de mes cousins, une histoire de papillons.»
La Crau, désert de pierres aux portes d’Arles. Pays ras, pays nu, abandonné au mistral et aux brebis. C’est là que vivent Nel et Matt, l’un, fils et petit-fils de bergers, aujourd’hui photographe, l’autre, constructeur de toilettes sèches publiques, réalisateur à ses heures perdues.
Entre eux une amitié forte, belle. Jusqu’au jour où, travaillant à un nouveau film, Matt s’intéresse à la vie de deux cousins de Nel aujourd’hui disparus. Deux frères maudits, qui ont traversé comme des comètes ces mêmes paysages, se consumant à toute allure, en pleines années 1980.
Allers-retours à Madagascar, adolescence sans parents, fêtes, violence, liberté, insouciance : la trajectoire des deux frères, aussi brève qu’intense, se recompose peu à peu.
Longtemps après avoir refermé le livre, on se souvient des magnifiques descriptions de la plaine de la Crau et on repense aux personnages dépeints avec une telle délicatesse qu’ils nous sont devenus familiers.
Dans notre discussion avec Sylvain Prudhomme, nous avons évoqué son rapport à l’Afrique où il a longtemps vécu et l’importance des voyages dans sa vie et dans son œuvre. Il nous a lu des extraits de Légende (2016, Gallimard, L’Arbalète) et nous avons parlé aussi de deux de ses précédents romans : Là, avait dit Bahi (2012) et Les Grands (2014), qui abordent tous deux la question de la colonisation et de la décolonisation. Sylvain Prudhomme a d’ailleurs traduit Décoloniser l’esprit, l’ouvrage de l’auteur kényan, Ngugi wa Thiong’o.